Surnommé le dirigeant “Teflon” pour son inoxydable capacité à échapper à la justice, l’ancien chef de l’Etat sud-africain Jacob Zuma compte bien utiliser jusqu’au dernier recours à sa disposition pour éviter de comparaître devant les juges, dans le dossier de l’Arms Deal de 1999. La reprise de son procès pour corruption dans cette affaire, premier scandale retentissant de l’Afrique du Sud postapartheid, est en principe prévue le 11 avril à la haute cour de Pietermaritzburg (Kwazulu-Natal), qui doit examiner le fond de l’affaire. Mais sa défense, emmenée par l’avocat Bethuel Mondli Thusini, entend à nouveau demander un report, quitte à aller jusque devant la Cour constitutionnelle. Fin mars, Zuma a pourtant perdu une bataille majeure lorsque la Cour suprême d’appel, conduite par le juge Mandisa Maya, a rejeté sa demande de récusation pour partialité du procureur Billy Downer de la National Prosecuting Authority (NPA). Ce dernier porte le dossier d’accusation contre l’ancien président sud-africain (2009-2018) poursuivi pour seize chefs d’accusation dont, entre autres, racket, corruption et blanchiment d’argent dans ce dossier dans lequel est également impliqué le français Thales.
“Technique de Stalingrad”
Jacob Zuma est accusé d’avoir perçu, directement et indirectement, 4,1 millions de rands (soit environ 280 000 $) sous la forme de 791 paiements, entre 1995 et 2004, de la filiale locale de Thomson CSF (renommé Thales en 2000). En échange, celui qui occupait le poste de vice-président du pays aurait aidé l’entreprise à sécuriser un juteux contrat de 2,6 milliards de rands (180 millions de dollars). Le géant de l’armement français, deuxième prévenu dans ce procès, a obtenu une partie des appels d’offres attribués par le gouvernement de Thabo Mbeki à cinq sociétés de défense européennes. Montant total : 30 milliards de rands (2 milliards de dollars), un chiffre officiel largement sous-évalué. Facilitateur des transactions présumées entre Thales et Jacob Zuma, le conseiller financier de ce dernier, Schabir Shaik, a été condamné en 2005 à cinq ans de prison. L’Etat était alors représenté par Bill Downer, qui a dirigé l’équipe chargée de rassembler les preuves contre Shaik. La stratégie d’obstruction judiciaire systématique de Jacob Zuma est surnommée par le parquet sud-africain la “technique Stalingrad”, du nom de la ville russe assiégée par le Troisième Reich lors de la Seconde Guerre mondiale. La bataille avait à l’époque durée plusieurs mois et s’était déroulée en plusieurs étapes, par combats successifs. Cette technique par “phases” a été adoptée par la défense de Zuma ; elle consiste à gagner du temps en multipliant tous les recours existants et en attendent à chaque fois le tout dernier jour autorisé pour lancer une nouvelle procédure. Jusqu’à présent, la stratégie a fonctionné : ce procès de l’Arms Deal, mené par le juge Piet Koen, avait formellement débuté en mai 2021, mais a déjà été repoussé plusieurs fois.
Discours de Victimisation
A cette méthode d’usure est associé un discours de victimisation pour celui qui est aussi au cœur du scandale de la “capture de l’Etat”, un système de corruption mis en place sous sa présidence. Le dossier de Jacob Zuma serait traité comme celui d’un opposant par le président Cyril Ramaphosa, et non comme un justiciable ordinaire, répète la JG Zuma Foundation. Contactée, l’organisation n’a pas répondu à nos questions. Dans le dossier de l’Arms Deal, Jacob Zuma avait été inculpé une première fois en 2005 avant d’obtenir un abandon des charges pour vice de forme, un mois seulement avant d’accéder à la présidence en 2009. Une décision rendue sur la base d’enregistrements censés prouver l’existence d’une cabale politique contre lui menée par son rival Thabo Mbeki. La procédure avait été relancée à la fin de la présidence de Zuma, sous l’impulsion de la Democratic Alliance (DA), principal parti d’opposition.
Difficultés Financières
La volonté de Jacob Zuma de continuer à défiler la justice, depuis sa résidence de Nkandla dans le Kwazulu-Natal, est toutefois désormais handicapée par plusieurs revers. L’ex-chef d’Etat a tout d’abord perdu une bataille clé dans une autre affaire. En juin 2021, il a été condamné par la Cour constitutionnelle à quinze mois de prison pour outrage, pour avoir refusé de témoigner devant la commission d’enquête Zondo sur la “capture de l’Etat”. Cette dernière a recommandé en début d’année des poursuites judiciaires à l’encontre de Jacob Zuma. Le leader zoulou, qui n’apparaît pas disposer de fortune personnelle, fait aussi face à des difficultés financières pour poursuivre ses combats judiciaires. L’Etat lui réclame le remboursement de 25 millions de rands (1,7 millions de dollars) de ses frais de justice, à la suite d’un jugement de la SCA l’an dernier. De son côté, Jacob Zuma a toujours fait valoir qu’ayant agi à l’époque en sa qualité de président, l’Etat doit payer les honoraires de ses avocats.
Une Solution Politique ?
Enfin, l’influence politique de l’ex-président est déclinante, même si son incarcération en juillet 2021 avait déclenché des émeutes meurtrières (350 morts) dans un pays, classé premier dans le monde pour ses inégalités. Jacob Zuma, qui envisage à ses déboires judiciaires une solution négociée avec son successeur, est confronté à la volonté affichée de Cyril Ramaphosa de vouloir remettre de l’ordre dans un parti miné par la corruption. Plusieurs des proches historiques de l’ex-président, comme Ace Magashule, secrétaire général suspendu de l’African National Congress (ANC), ont été écartés à l’approche du congrès de décembre. L’âge de Jacob Zuma, qui soufflera ses 80 bougies le 12 avril, apparaît comme sa dernière carte en main. Deux mois après son incarcération l’an dernier, il avait été remis en liberté pour raison médicale, sur décision d’Arthur Fraser, alors directeur des services pénitentiaires sud-africains et ancien directeur des services de renseignement sous la présidence Zuma. La justice a par la suite déclaré illégale cette sortie de prison. Les avocats de Jacob Zuma ont fait appel.